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15 juin 2015 1 15 /06 /juin /2015 17:37

http://www.unidivers.fr/pascal-rouge-malaise-au-travail/

Le Rennais Pascal Rougé lutte contre le malaise au travail.

Ecrit par Dragan Brkic. Publié le 03 juin 2015

Pascal Rougé est un habitué des essais tonitruants. À travers sa petite maison d’édition, les Éditions le temps qui passe, il invite le lecteur à réfléchir sur des idées souvent simples mais essentielles pour notre existence. Comme dans cet opuscule où il s’attaque – frontalement – au phénomène du « malaise au travail ». Pascal Rougé souhaite « redonner à la figure du salaud sa dignité conceptuelle en élevant cette insulte au niveau d’une catégorie philosophique ». Pari quasiment tenu !

Rendant hommage en préface à un salarié de la Poste qui s’est suicidé dans l’agence où il travaillait à Rennes, le lecteur rentre d’emblée dans la problématique sombre de l’écrivain : « Pourquoi cela alors que la vie pourrait être tout autre ? » « Des salariés sont embauchés dans une entreprise et se trouvent soudainement ou progressivement confrontés à des situations professionnelles d’une violence effroyable » (p. 2). « Des chefaillons sadiques », nommés en l’occurrence « salauds incurables », s’attaquent en premier à l’identité professionnelle des victimes. Par là même, « ils s’appliquent à transformer leur propre folie personnelle en principe normatif pour la conduite de leur entreprise » (p. 3). Ce sont des pervers qui séduisent d’abord pour ensuite accomplir leurs méfaits (p. 9). De vrais petits führers paraphrase l’auteur (p. 6) établissant un parallèle entre le nihilisme dans la sphère professionnelle et les régimes totalitaires (p. 4). Et malgré les abus de pouvoir manifestes, une impunité totale demeure en la matière (p. 6). À cet égard, ce qui l’inquiète au plus haut degré, c’est l’existence d’une omerta institutionnelle qui ferme les yeux devant l’ignominie (p. 7).

Pascal Rougé fournit ses explications. Il trace une dégradation des conditions de travail depuis le servage du moyen-âge jusqu’à l’étouffement psychologique et social des ouvriers des manufactures au XVIIIe siècle. Des dommages qui se sont accentués dans les années 1980 avec la prise de contrôle de l’économie par les marchés financiers (p. 17). Ce qui aurait rendu les rapports de force encore plus inégaux qu’avant (p. 19). L’écrivain s’interroge par ailleurs sur la responsabilité des normes structurelles comme de ceux qui les appliquent. Pour la plupart des analystes du travail, le management contemporain engendrerait clairement des risques psychosociaux. Ce qui fait écho aux travaux du sociologue Jean-Philippe Bouilloud, lequel met principalement en cause la technologie entrepreneuriale comme source de mal-être au travail (p. 27). De son côté, Pascal Rougé repère une interpénétration entre l’idéologie des structures managériales et le comportement naturel des chefs autocratiques. En d’autres termes, c’est le management sourd et aveugle qui est fautif et condamnable. En pratique, ce n’est plus le savoir-faire traditionnel – le métier – qui détermine les conditions de travail, c’est la mise sous tension des acteurs de l’organisation qui conditionne le travail. À cause de la défaillance des systèmes d’évaluation, la réussite individuelle méritocratique des salariés passe par l’échec des autres (p. 26). Ainsi, la jouissance barbare à faire souffrir des petits roitelets est renforcée par les valeurs imposées d’une économie ultralibérale (p. 28).

Dès lors, Pascal Rougé en arrive au laminage psychologique ritualisé (p. 7) ; la placardisation constituant une souffrance terrible (p. 30) ! Pour la victime, la seule solution est : démissionner, se mettre en arrêt de maladie ou rentrer dans la dépression, jusqu’à parfois se suicider. Terrible, oui : la psychologue Marie Rezé évoque des suicides qui sont dédicacés par les victimes au bon souvenir de leurs tyrans (p. 17). Pascal RougéPourquoi personne ne vient en aide à ces personnes en détresse ? Pascal Rougé évoque alors une forme de solidarité de pleutres qui donne sa vraie mesure uniquement dans le conflit (p. 11). Des courtisans dont la raison de vivre est la domesticité ; des indifférents qui pratiquent une sorte d’autisme collectif. Quant aux quelques résistants, ils demeurent impuissants, en dépit d’une conscience acérée, devant une hiérarchie manipulatrice qui ne consent à dialoguer que pour mieux étouffer la contestation (p. 11 à 14).

Pascal RougéPar rapport au statut du harceleur, Pascal Rougé souhaiterait « redonner à la figure du salaud sa dignité conceptuelle en élevant cette insulte au niveau d’une catégorie philosophique ». « Un gros plein d’être » comme disait Sartre. Au travail, c’est celui qui a le sentiment autosuffisant de son importance sociale […], distillant le venin de la malveillance selon son bon vouloir (p. 18). « Il n’est pas comme le méchant qui fait le mal pour le mal, mais lui fait le mal pour le bien à soi » (p. 19). Tout bien considéré, cette pratique est absurde : le coût social est élevé et la richesse nationale amputée. Pourtant, l’article L122-49 du Code du travail proscrit le harcèlement moral ; l’article L4121-1 stipule que « l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » (p. 33). La réalité montre néanmoins clairement une distorsion entre la pusillanimité du droit du travail et la toute-puissance d’une économie mal encadrée.

Reste que Pascal Rougé relève des chiffres des procédures qui indiquent une inversion de tendance en faveur des victimes (p. 24). En sus, il avance des raisons plus psychologiques et philosophiques : le malaise, la souffrance et le suicide au travail pourraient être liés au désespoir social. Ce dernier se définirait comme l’impossibilité d’être soi dans un monde fini. Le dilemme du désespéré se résume ainsi au déchirement tragique entre l’être qu’il est, la conscience qu’il a de lui-même et l’idée qu’il voudrait être par rapport à la mort. L’homme se rend compte que tout ce qu’il a patiemment construit ne sert à rien finalement (p. 35). Adam Smith travail Adam Smith En définitive, « la forme générale de tout travail est contraignante, parfois aliénante ». Malgré tout, « c’est grâce au salariat que l’individu achète sa liberté, autrement dit son autonomie » (p.37). Car le travail a également des vertus. Il participe à la construction identitaire de soi tout en étant une source d’enrichissement personnel. Le travail est le moyen par lequel l’homo faber se crée et crée des valeurs. « L’idéal constitutif de tout salarié est de travailler dans des conditions où le plaisir domine tout en créant des richesses à travers la production de bien et de services divers » [A. Smith] (p 37). Ces beaux préceptes laissent le philosophe perplexe, car « la réalité de l’exécution du travail est âpre, laborieuse, source d’insatisfaction et de griefs » (p. 38). Une véritable dépersonnalisation s’opère même chez l’ouvrier. Tout compte fait, la maigre socialisation acquise ne pèse pas lourd face à la volonté de l’homme de s’en délivrer.

L’idéal pour Pascal Rougé consisterait alors à revenir aux cinq fonctions du travail formulées par la psychologue autrichienne Marie Jahoda : imposer une structure temporelle de la vie, créer des contacts sociaux en dehors de la famille, donner des buts dépassant les visées propres, définir l’identité sociale et forcer à l’action (p.38). Marie Jahoda Marie Jahoda (1937) Selon cet aspect, le travail permet d’agrandir son action sur le monde sans le subir. « C’est dans l’œuvre qu’il fait que l’homme trouve un prolongement de lui-même sous la forme d’une incarnation de ses idées » (p. 39). L’auteur va encore plus loin en vantant les mérites des œuvres d’esprit ou humanitaire qui contribuent au progrès de l’humanité (p. 40). Il avance que « le travailleur fait aussi cela pour lui-même, pour son bonheur » (p.41). Dans cette perspective, il s’inscrit dans les pas de Karl Marx pour qui la volonté d’émancipation induit d’échapper à une division du travail réductrice. Pascal Rougé en appelle dès lors à combattre pied à pied ces micro-dictatures (p. 42). « L’idéal serait une prise de conscience collective et émancipatrice qui congédie, une fois pour toutes, ces petits chefs perfides » (p. 15). Au regard de la forme travestie du délit et des compromissions sociétales sur le sujet, la tâche apparaît ardue. Pascal Rougé décrypte le phénomène sous toutes les coutures : utilisant l’amplification pour désigner le coupable et proposant une quasi-guerre morale entre les « courageux » et les « salauds ».

Aux éditions Le Temps qui passe :

Penser le Monstre (2009), prix : 5 euros.

La Perversité suivi de La Philosophie de Sade (2009), prix : 5 euros.

Journal d’un professeur de philosophie tome 1 (2010), prix : 5 euros.

Journal d’un professeur de philosophie tome 2 (2010), prix : 5 euros.

Le Principe d’Hospitalité, réflexion sur les Sans-Papiers (2010), prix : 5 euros.

L’expérience du Quotidien (2011), prix : 5 euros.

Les Ecrivains-Voyageurs, entretiens avec Jacques Lacarrière et Michel Lebris (2011), prix : 6 euros.

Journal Politique Critique tome 1 (2011), prix : 6 euros.

Journal Politique Critique tome 2 (2012), prix : 6 euros.

Journal Politique Critique tome 3 (2012), prix : 6 euros.

Le Phénomène Pornographique (2012), prix : 6 euros.

Jacques Josse, écrivain, poète et éditeur (2013), prix : 6 euros.

Articles : les Situationnistes, Albert Camus, Xavier Grall, Antoine Blondin, Jack Kérouac, Léon Bloy, Éloge du Bonheur (2013), prix : 6 euros.

Malaise au Travail (2014), prix : 6 euros.

Entretiens philosophiques avec A. Comte-Sponville, P.H Frangne et J. Gagnepain (2014), prix : 6 euros.

Qu’est-ce qu’un intellectuel ? (2014), prix : 7 euros.

De quoi le poète est-il le nom ? Entretiens avec E. Guillevic, J-P. Hameury, Y. Le Men, J-L. Steinmetz, P. Tanguy, J.-L. Trassard, prix 7 euros.

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